RENCONTRES AVEC ALAIN KIRILI

Rythmes d’Automne – Hommage à Jackson Pollock installation monumentale
Dripping, Performance pour danseuse, flûtiste, hommes aux râteaux, tractopelles et 9 tonnes de graviers.
Parvis de l’Hôtel de Ville de Paris, oct. 2012.

Fils de fer et caoutchouc – Rencontre – Improvisation
Performance avec Tom Buckner, chanteur baryton, atelier d’Alain Kirili, Paris, août 2012
Performance avec le flûtiste Jérôme Bourdellon. Atelier d’Alain Kirili, Paris, février 2012
Carte Blanche Performer les sculptures d’Alain Kirili, Atelier d’Alain Kirili, New York, USA, déc. 2011

Rythmes d’automne à Paris, Thierry Dufrêne.

« J’ai eu le désir avant mon installation sur le Parvis d’aller revoir les alignements mégalithiques de Carnac 9 qui m’ont donné toute l’énergie de la puissance de leurs monumentalités répétitives et différentielles. Le fait de dresser des pierres de dizaines de tonnes est un geste fondateur de la sculpture verticale et répétitive sans aucun aspect systématique. Carnac est à la sculpture ce qu’est Lascaux à la peinture. Le Morbihan est une région de l’érection verticale de la pierre. Voici un geste de statuaire fondateur de cet art qui célèbre l’événement de l’homme debout. Cet événement : un geste infini, sans commencement ni fin, se retrouve au même moment sur tous les continents. Me promenant a Carnac et dans le Morbihan, je pensais au privilège que j’avais de voir bientôt à Paris trois installations de répétitions de mes signes: Grand Commandement Blanc dans les Tuileries, Hommage à Charlie Parker avenue de France et Rythmes d’automne. Au même moment Commandement XV était installé à Berlin à la Galerie Ikera Ikeda. Les ensembles Résistance à Grenoble et Tellem à Dijon sont les prolongements de cette écriture dispersée. Ces sculptures expriment comme la dispersion des mégalithes un continuum ouvert, infini, planétaire. J’ai ressenti à Carnac la naissance de la statuaire abstraite, une érection, dont l’étymologie du mot statuaire, du latin stare porte bien le sens de ce qui s’érige, de ce qui se tient debout.

On peut penser aussi aux mégalithes de Stonehenge face à Rythmes d’automne. Comme si Kirili en avait extrait et condensé le désir de monumentalité de la façon la plus intense. faudra attendre l’art contemporain pour comprendre ce sens primordial et sortir des visions ésotériques. Je pense que c’est seulement vers le XVIIème siècle, dans les jardins de lettrés chinois que l’on retrouve des pierres dressées puissamment. J’ai donc pensé à Carnac, à la Chine et à mon voyage à Kyoto bien sûr. J’ai médité sur la différence entre la conception chinoise du jardin de celle du Japon.

10 : Carnac peut apporter une réponse

Carnac, c’est l’alphabet fondateur de la modernité de mon œuvre ». Une question s’est posée à Pollock lorsqu’il fit ses drippings juste après la Seconde Guerre mondiale: comment concilier le travail au sol, à l’horizontale, et le redressement au mur de la toile devenue tableau ? D’un côté l’implication totale, la gestuelle infinie: le peintre habite la toile de son geste, de son corps. De l’autre, l’intimidation du vertical, le face-à-face avec l’œuvre, la monumentalité du format sur le mur. Assumant cette contradiction, la presque totale animalité du dripping et la quasi sublimation de l’élévation, Pollock avait créé la vibration colorée qui ouvre le mur par l’animation éblouissante des formes, des tracés et des tâches. La même question se pose au sculpteur. Le jeté des éléments, comme un « coup de dés » mallarméen, ressemble à un dripping géant: l’artiste m’a confié avoir voulu faire un dripping « tridimensionnel, libre de toute composition pré-établie, de toute grille, du moindre schéma. Le geste est monumental, spontané, libre, rapide ». Mais la sculpture aussitôt se redresse. Elle doit affirmer la force verticale, sans laquelle la sculpture ne serait pas ce qu’elle est. Alors, comment concilier ces deux postulations simultanées ? Ce sont bien elles qui dynamisent la sculpture, mais en même temps, elles sont en tension. Et c’est cette tension que l’artiste utilise, pousse à la limite, pour que l’ensemble fonctionne comme un champ de forces, mieux encore: comme un champ magnétique. Les éléments géométriques, cylindres entiers ou découpés, carrés, rectangles entrent dans une configuration complexe, un peu comme une constellation cosmique. Mais aussi ils sont soulevés comme par une houle dynamique. C’est ce qu’ont parfaitement ressenti la danseuse Sandra Abouav et le souffleur Jérome Bourdellon qui ont accompagné l’installation de la sculpture. Le mouvement du corps et le vibrato de l’instrument oscillaient en permanence entre forme tenue et abandon dionysiaque. Exactement comme Alain Kirili dit vouloir d’une part « que le regard reste plongeant, apaisé: c’est une méditation sculptée » et d’autre part que « la différence des hauteurs crée une ondulation qui reprend celle du gravier et donne un accent vivant à l’œuvre ».

Rythmes d’automne à Paris
Thierry Dufrêne
Ed/ AKira Ikeda
2012